Cette troisième édition du Rapport Mondial ICOMOS sur les Monuments et les Sites – Patrimoine en péril 2002/2003 – constitué de rapports de près de 60 pays est destinée à fournir un complément d’information sur les éditions antérieures. Les deux premières éditions, Patrimoine en péril 2000 et 2001/2002, ont été reconnues, non seulement par les protecteurs de l’environnement, mais aussi par le grand public de nombreux pays. La couverture de la deuxième édition, présentée pour la première fois au public le 9 février 2002 au Mémorial de la Reine Victoria à Calcutta grâce à l’initiative de ICOMOS Inde, présentaient les bouddhas de Bamiyan détruits par les Talibans en mars 2001. Au verso de la couverture de cette troisième édition est présentée la non moins barbare destruction de milliers de pierres tombales arméniennes (Khatchkars)– une action criminelle pratiquement inconnue du public, dont le gouvernement d’Azerbaïdjan doit être tenu responsable. La couverture nous rappelle la menace qui pèse sur l’héritage culturel en Irak, où, lors des derniers préparatifs avant l’impression de ce tout dernier Rapport sur l’Héritage en péril, la guerre semble inévitable – malgré des manifestations dans le monde entier et avec des conséquences encore inconnues pour les monuments et les sites uniques de cette région.

Le rapport Patrimoine en péril 2002/2003 est la preuve que la situation de l’héritage culturel est toujours critique dans de nombreuses régions du monde. Alors que maintes et maintes fois des milliards sont investis dans la préparation de la guerre et la destruction, l’engagement nécessaire lorsqu’il s’agit de protéger l’héritage menacé des siècles et millénaires passés fait souvent défaut aux responsables. Par conséquent, nous ne pouvons qu’espérer que le Rapport Patrimoine en Péril inspirera d’autres engagements, à l’échelle nationale et internationale, donnera naissance à de nouvelles initiatives de conservation et insufflera un nouvel élan aux institutions existantes, telles le Bouclier Bleu soutenu par l’ICOMOS. Son effet devrait également s’étendre aux fondations internationales concernées par la conservation, comme la Fondation Getty ou le World Monument Fund. Leur excellent exemple pourrait également influencer d’autres sponsors internationaux, alors même que chacun prend de plus en plus conscience de l’importance économique de la conservation du patrimoine, et du rôle majeur qu’elle a à tenir dans le cadre de ce ‘développement durable’. Avec son Rapport Mondial sur les Monuments et Sites en Péril, l’ICOMOS espère non seulement obtenir le soutien moral du public dans la bataille contre les menaces de toutes sortes, mais aussi obtenir des résultats pratiques en coopération avec toutes les forces intéressées à la préservation du patrimoine culturel.

En tant qu’organisation non gouvernementale, l’ICOMOS peut identifier les monuments en danger du strict point de vue de la préservation, sans considérations politiques, se pencher franchement sur la situation absolument désespérée du patrimoine historique d’une kyrielle de pays, et détecter précocement les tendances dangereuses, y compris les effets de la mondialisation. Les types de menace expliqués dans les rapports présentés ici sont très variés. D’une part, le patrimoine historique bâti de l’humanité a toujours été à la merci des catastrophes naturelles, tremblements de terre, typhons, ouragans, inondations et incendies, ainsi que des intempéries et des attaques des insectes ou de la végétation. D’autre part, nous ne pouvons oublier les guerres, qui entraînent toujours des pertes colossales : on peut citer pour exemple les séquelles des conflits armés et des affrontements ethniques. Parmi les désastres infligés de la main de l’homme figurent en outre les conséquences de la pollution mondiale de notre air, de nos eaux et de nos terres, comme la destruction liée à la pollution des monuments en métal et en pierre, qui, pour certains, se sont plus dégradés ces dernières décennies qu’ils ne l’avaient fait en des siècles. Les menaces qui pèsent aujourd’hui sur notre patrimoine mondial n’ont rien de commun avec celles du temps jadis, car nous vivons dans un univers connaissant, depuis les dernières décennies du 20ème siècle, une évolution en constante accélération. Ce développement rapide, soumis aux pressions conjointes d’une démographie galopante et d’une industrialisation progressive, a pour résultat l’accroissement incessant de l’occupation de terrain - détruisant non seulement les témoignages archéologiques enfouis mais des paysages culturels historiques tout entiers - et des cycles de démolition et de reconstruction toujours plus rapides, qui font payer un lourd tribut à l’environnement.

À une époque où même les contrées les plus reculées sont ‘accessibles’ le tourisme de masse, dont sont victimes des paysages culturels entiers depuis quelques décennies, représente lui aussi un péril. Il est décevant de constater que, en dépit des assurances données lors d’innombrables colloques sur le thème du tourisme et de la préservation, l’industrie touristique ne s’est toujours pas engagée sur cette voie alors qu’elle représente désormais, avec ses milliards de chiffre d’affaires, le premier secteur économique à l’échelle planétaire. L’industrie du tourisme exploite le patrimoine culturel, par une utilisation abusive parfois ruineuse, mais n’apporte en retour aucune contribution financière notable à la protection et à la conservation du patrimoine culturel. Enfin, dans le contexte d’un ‘village’ de plus en plus global, dominé par la loi de la jungle économique, la tendance à l’uniformisation est elle aussi un facteur de risque évident pour le patrimoine culturel. Avec le nouveau ‘mode de vie’ mondial, les attitudes envers les témoignages historiques du passé se modifient. L’on ose espérer toutefois que cette tendance à la mondialisation, par contrecoup, sensibilise la population locale à l’importance de ses monuments, témoins de l’identité régionale et nationale. Cette tendance se retrouve dans les traditions artistiques et artisanales, qui ont donné naissance au patrimoine historique au fil des siècles. Néanmoins, les produits de masse de la société industrielle distribués dans le monde entier font toujours peser une énorme menace, car ils supplantent les techniques traditionnelles des artisans, et pervertissent ainsi les possibilités de réparation au moyen de matériaux et de techniques authentiques, si vitales pour la conservation. Considérons par exemple le remplacement continu des constructions d’argile et de bois traditionnelles par des structures de béton dont tant de ‘paysages résidentiels’ ont été les victimes.

Avec son initiative Patrimoine en Péril, l’ICOMOS se préoccupe des monuments et des sites au sens le plus large du terme: non seulement les monuments individuels mais aussi différents types de biens culturels immobiliers, comme les sites archéologiques, les zones et les ensembles historiques, les paysages culturels et divers témoignages historiques, de la Préhistoire jusqu’au mouvement moderne du 20ème siècle, ainsi que les collections et les archives associées. Étant donné notre diversité culturelle, les menaces et les dangers déjà mentionnés ont naturellement un impact différent en fonction des régions du monde et, dans certains cas, ne posent problème que pour certains groupes de monuments. Par exemple, l'art rupestre et les sites archéologiques sont parmi les plus anciens témoins de l'humanité, menacés dans le monde entier par la construction de routes, de barrages et d'autres projets peu scrupuleux. Dans beaucoup de pays les sites archéologiques sont encore pillés par des fouilles illégales, et le trafic illicite des œuvres d’art représente une disparition permanente de biens culturels qui, du point de vue de la conservation, devraient demeurer sur leur site d’origine. Non seulement les peintures, les sculptures et les objets des lieux de culte sont décimés par le vol, mais les monuments artistiques sont détruits pour en mettre des fragments sur le marché: des temples sont dynamités, des sculptures décapitées, des fresques découpées. La vague de destruction affecte aussi les centres de villes historiques ainsi que les villages. Dans les villes, on ne compte plus les quartiers historiques en proie à la reconstruction inconsidérée, d’où l’urbanisme est souvent totalement absent, et à l’expansion urbaine incontrôlée dans leur voisinage. De par l’industrialisation de l’agriculture, l’architecture vernaculaire est particulièrement mise en péril dans certains pays, disparaissant purement et simplement ou ne survivant plus que dans quelques musées à ciel ouvert. Les méthodes de construction faisant appel à l’argile, au bois et à la pierre - des matériaux disponibles localement (fait de grande importance pour le développement durable), qui étaient jadis l’apanage de paysages culturels entiers mais qui représentent aujourd’hui un patrimoine historique très largement laissé à l’abandon et absent de toutes les listes de monuments - se perdent pour toujours. En outre, les témoignages bâtis de notre histoire industrielle, des structures érigées à l’aide de techniques qui furent un jour modernes mais dignes elles aussi, aujourd’hui, d’être préservées, posent un problème délicat au conservateur lorsque l’usage d’origine n’est plus possible. Et même les chefs d’œuvre architecturaux du mouvement moderne du 20ème siècle sont menacés de démolition ou de défiguration (comparez le rapport de l'ICOMOS UK).

Comptant quelques 7000 membres regroupés en 118 Comités Nationaux et 21 Comités Scientifiques Internationaux, l’ICOMOS, Conseil International des Monuments et des Sites, est l’organe consultatif de l’UNESCO en matière de patrimoine culturel mondial, particulièrement en ce qui concerne l’évaluation des monuments et des sites inscrits sur la Liste du Patrimoine mondial ou dont l’inscription sur celle-ci est envisagée. Dans l’ensemble, la Convention de l’UNESCO pour la Protection du Patrimoine Culturel et Naturel Mondial, adoptée en 1972, demeure l’un des rares efforts réussis de politique culturelle mondiale visant à sauvegarder le patrimoine historique de l’humanité, et l’ICOMOS est fier de travailler, en tant qu’organe consultatif, aux côtés de l’UNESCO. Les monuments et sites, quartiers historiques et paysages culturels inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco devraient de fait figurer parmi les monuments non menacés, mais notre rapport indique qu’on y observe pourtant certains cas de grand danger. On constate d’ailleurs une certaine inégalité dans la représentation des pays non européens sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO, inégalité due au fait que la Convention exige - avec raison - non seulement l’importance exceptionnelle des objets sur la liste, mais également des réglementations gouvernementales de protection appropriée pour les monuments et leurs environs, une protection qui n’existe malheureusement pas dans certains pays.

Le nouveau Rapport Mondial 2002/2003, une fois encore préparé par un groupe de travail constitué de membres d’Australie, du Canada et d’Allemagne, est également disponible sur internet (www.international.icomos.org/risk2002). Il comprend les contributions de collègues individuels et de plusieurs comités nationaux et internationaux de ICOMOS. Je souhaite également remercier les experts des 18 pays qui ont participé à l’atelier « l’Héritage en péril » au cours de notre Assemblée Générale à Madrid (1-5 décembre 2002). Leurs contributions constituent une partie essentielle de cette publication. On compte parmi eux des pays qui n’avaient encore jamais écrit de rapports pour l’Héritage en péril (voir, par exemple, le rapport complet sur la situation en Algérie). Mis à part cela je rends hommage à la participation de tous les collègues et comités ICOMOS et constate également, en accord avec la politique d’ICOMOS, que les informations fournies dans cette publication reflètent l’opinion indépendante de chaque comité et des différents auteurs. Notre rédaction expérimentée a bénéficié du soutien très engagé de Jane Harrington, une collègue australienne, qui a rédigé la plupart des textes en anglais. John Ziesemer a une fois encore consacré un temps considérable à l’édition de cette publication. Je souhaite également remercier Hannelore Puttinger du secrétariat ICOMOS de Munich, ainsi que Gaia Jungeblodt et l’équipe du Secrétariat International de Paris, spécialement Olivia de Willermin ainsi que Cameron Hartnell et José Garcia, qui ont ajouté les documents sur le site internet ICOMOS. La publication du Rapport Mondial 2002/2003 n’aurait pas été possible sans le soutien financier et organisationnel fourni par ICOMOS Allemagne et sans le soutien généreux du Commissaire aux Affaires Culturelles et aux Médias du Gouvernement Fédéral d’Allemagne ainsi que la Fondation Messerschmitt. Enfin, j’exprime une fois encore mes remerciements à la maison d’édition K.G. Saur, notamment Manfred Link, pour avoir facilité le tirage de cette publication qui a dû être composée dans des délais très serrés.

L’ICOMOS est bien entendu conscient que aussi le troisième Rapport Mondial sur les Monuments et Sites en Péril ne peut être complet. Mais dans les années à venir des rapports nouveaux seront publiés. En tant que Président de l’ICOMOS, je suis certain que le message de chaque rapport H@R sera compris comme un appel urgent au monde pour qu’il s’emploie à sauver notre patrimoine culturel plus que jamais.

Michael Petzet