Actions prioritaires pour la sauvegarde du patrimoine culturel guinéen en péril


La Guinée, synthèse de richesses culturelles et naturelles

L'explorateur français du 19ème siècle, Olivier Compte de Sanderval, a qualifié en ces termes la Guinée:
" J'ai aimé tes rubans tranquilles brillant à travers le coton de nuages, tes immenses étendues vertes et si puissantes et si peu hostiles. J'ai parcouru tes montagnes âpres et accueillantes et vu tes larges fleuves peuplés de caïmans, j'ai pénétré ta forêt étouffante… Où la danse sacrée trouve sa frénésie, ailleurs encore j'ai rencontré les beaux hommes drapés, faisant paître leur troupeau. Et sur tout cela, j'ai vu éclater la tornade et le rideau gris de la pluie s'étendre ".

Pays anciennement appelé ''Rivières du Sud'' à cause de son réseau hydrographique dense, la Guinée est un pays côtier situé dans la partie occidentale de l'Afrique, entre les 9ème et 11ème degrés de latitude nord, couvrant une superficie de 245.857 km2. Limité par l'Océan Atlantique à l'Ouest, elle fait frontière, du nord-ouest au sud-ouest, successivement avec la Guinée Bissau, le Sénégal, le Mali, la Côte d'Ivoire, le Libéria et la Sierra Léone. La Guinée se présente comme une synthèse culturelle et naturelle de l'Afrique de l'Ouest, comprenant quatre régions bien distinctes:
- La Basse-Guinée ou Guinée maritime(partie occidentale du pays): cette région est une plaine côtière marécageuse, traversée par de nombreux cours d'eau. Son climat chaud et humide se caractérise par des pluies abondantes entre juillet et septembre. Il existe en Basse Guinée d'importants témoignages des premiers contacts du pays avec l'Europe, dont des vestiges de la Traite Négrière.
- La Moyenne-Guinée ou Foutah Djalon: C'est une région de savane montagneuse, où on enregistre dans certaines localités (comme à Dalaba) les températures les plus basses du pays. Berceau des principaux fleuves de la sous-région, la Moyenne Guinée est considérée comme le " Château-d'eau de l'Afrique Occidentale ".
- La Haute-Guinée: C'est une région de hauts plateaux et de savane arborée, dont le climat est chaud et sec. Elle est arrosée par le fleuve Niger et ses affluents drainant de larges plaines rizicoles. Dans cette région anciennement occupée, on retient les noms de villes historiques comme Bissandou, Niagassola, Kankan.
- La Guinée Forestière: C'est une zone dotée d'un couvert végétal abondant avec un climat humide. C'est dans cette région que culmine le Mont Nimba, plus haut point de l'Afrique de l'Ouest (1752 m). Les Réserves Naturelles Intégrales du Mont Nimba sont inscrites sur la liste du patrimoine mondial naturel.

Un patrimoine culturel remarquable et diversifié

Ce contexte culturel et naturel est marqué par une présence remarquable de témoignages dont on peut établir la typologie suivante :
  • Patrimoine archéologique : Site de Niani (ancienne capitale de l'Empire du Mali), site rupestre de Léïléguel à Télimélé; grotte de Kakimbo, ateliers, nécropoles et autres abris sous-roche.
  • Patrimoine spirituel et religieux: (église ancienne de Boffa, Mosquées anciennes du Foutah Djalon, mausolées, nécropoles, espaces de culte des officiants de sociétés animistes, maisons de conservation d'objets sacrés (case du Sosso Bala à Niagassola), espaces aménagés pour les scènes d'initiation et de sacrifice des forêts sacrées, Chez les Baga de la Guinée maritime, Toma, Pkèlè et Kissia de la Guinée Forestière, autels aux ancêtres de différentes communautés traditionnelles.
  • Paysages culturels : paysages culturels du Hamâna (avec comme principaux sites les mares Boolè de Baro, Woïbèn de Balato et Noradala de Norassoba, les sites négriers de Farinhya (Boffa); ces patrimoines sont retenus pour constituer la liste indicative de la Guinée pour le Patrimoine mondial.
  • Etablissements humains permanents : Capitales d'anciens empires et royaumes Bissandou, Timbo, Kankan ( avec le quartier résidentiel , Djïnkono, du Saint de Kankan, Feu Karamo Sékouba ), Niagassola, Boussédou.

Un patrimoine largement méconnu et constamment dégradé, un contexte de gestion à améliorer

Si d'importants biens du patrimoine naturel (parcs nationaux, réserves naturelles, de nombreuses zones humides) sont inventoriés et protégés par plusieurs Conventions ou programmes de recherche internationaux, par contre la majeure partie des biens du patrimoine culturel sont encore peu ou mal connus parce que généralement non identifiés, ils sont en proie à la dégradation, à la destruction ou à la disparition pur et simple.

Malgré l'existence d'un texte de politique nationale reconnaissant la nécessité d'inventorier et de préserver le patrimoine, les institutions guinéennes chargées du patrimoine culturel n'ont pas les moyens de leur politique. La persistance de " conceptions économistes " du développement, soutenue par des pratiques " traditionnelles " d'allocation budgétaire défavorables au secteur de la culture en général, n'ont pas permis, pendant plusieurs années, de conférer à ces institutions les capacités nécessaires à des interventions dignes des missions à elles assignées.

On note par endroit des actions enthousiastes de profanes sur des biens du pci, intervenant de manière extemporanée, à la faveur de projets de recherche plus ou moins pertinents ; de telles interventions pourraient s'avérer préjudiciables à l'avenir, à la lumière des plans de gestion appropriés; en matière de conservation, l'enthousiasme ne peut suppléer à l'action du spécialiste.

Au titre des menaces caractérisant le contexte de gestion du patrimoine culturel guinéen, il faut noter également les insuffisances suivantes, relevées par Mme Nantènin Sidibé dans une étude récente :
  • L'insuffisance ou le manque de documents au niveau des départements techniques chargés du patrimoine culturel immobilier ; en particulier, la faiblesse des capacités du Centre de Recherche et de documentation du Ministère de l'Urbanisme et de l'Habitat, aux points de vue ressources humaines, documentation et équipement ; ce qui rend difficiles les recherches.
  • La difficulté d'obtention de l'appui financier nécessaire pour les recherches et la mise en œuvre de programmes et projets portant sur le patrimoine culturel immobilier ; cette difficulté est liée en partie.
  • Le faible engagement pour le domaine du patrimoine culturel immobilier, de la part des partenaires au développement.
  • La méconnaissance générale des avantages que peuvent offrir pour le pays la valorisation des sites du patrimoine culturel immobilier.
  • L'insuffisance de compétences en matière de conservation et gestion des sites.
  • Le manque d'une utilisation idoine des quelques compétences existantes, du fait de la discrimination à certains niveaux.
  • La rétention de l'information au niveau des administrations, des institutions et des personnes ressources. Ce qui fait que l'on a difficilement accès aux renseignements d'actualité ou " relatifs à la souveraineté ".
Dans la même étude, il est recommandé que la République de Guinée veille à lutter ou à limiter les inconvénients du tourisme sur son cadre de vie, son patrimoine culturel et son équilibre social, notamment :
  • l'augmentation des pathologies sociales (alcoolisme, toxicomanie, prostitution…) ;
  • la dégradation de l'environnement (dépôt des ordures, désordre de la nature) ;
  • le mimétisme architectural (non conformité des nouvelles constructions à l'environnement architectural local) ;
  • le marchandage des produits culturels et les risques de pillage de biens culturels par le vandalisme.
Par ailleurs, les populations mitoyennes ou propriétaires des sites du patrimoine culturel guinéen n'ont généralement, elles aussi, ni les moyens ni les compétences requises à leurs côtés ni surtout une conception claire ou du moins favorable à la conservation de leur patrimoine culturel. Dans certains cas ce sont des connotations culturelles négatives qui empêchent d'entretenir des sites, dans d'autres, ce sont des conflits liés à l'appropriation ou à la gestion des biens du patrimoine culturel immobilier.

Des sites et monuments en péril

Parmi les sites du patrimoine guinéen en situation de dégradation ou de menace , il faut citer :
  • Le site archéologique de Niani (dans la Préfecture de mandiana)
  • Les paysages culturel du Hamana (Mares de Baro et de Balato)
  • Les paysages culturels de la route de l'esclave (Farinhya, Oulada)
  • Les paysages culturels de la Guinée Forestière (Forêts initiatiques, villages traditionnels typiques ayant subi les effets des guerres frontalières)
  • Les sites et monuments de Kouroussa (sites sacrés envahis par l'urbanisation, monument colonial de Wassabada, bâtiments coloniaux historiques du 20ème siècle)
  • L'espace culturel du Sosso Bala à Niagassola (la case sacrée et l'antique balafon médiéval qu'il abrite)
  • La Case Foulah de l'explorateur français Olivier de Sanderval, au Musée National de Sandervalia, à Conakry
  • Les Mosquées d'architecture traditionnelle Foulah du Foutah Djalon
  • Les sites et monuments de l'empire samorien, à Kérouané
  • Le Fort Galliéni de Niagassola
  • Le Fort colonial de Siguiri
  • La case à palabre de Dalaba
  • Les espaces bâtis de la ville historique de Kaloum (Conakry).
Le site archéologique de Niani

Situé sur la rive gauche du fleuve Sankarani, dans la Préfecture de Mandiana, Niani est aujourd'hui un petit village encadré par les " collines historiques " Niani Kourou, Daoulein Kourou, Bonkélén Kourou et Lènkèdibi. Capitale de l'Empire du Mali, dont l'importance internationale est reconnue dès le 14ème siècle, après le fastueux pèlerinage de Mansa Kankou Moussa, Niani fut un centre urbain rayonnant. La réputation de richesse de ce souverain est telle, après 1424-25, que les cartographes de l'Occident, quinze ans après le pèlerinage et pendant plus d'un siècle, placent sur leurs cartes marines un personnage couronné, porteur d'un sceptre à fleur de lys et une boule d'or ". Les voyageurs arabes ont fait régulièrement mention de la capitale du Mali, depuis le 11ème siècle; Al Idrissi, Al Bekri et d'autres chroniqueurs arabes employaient le terme "Malal", "Melli" pour désigner la capitale des Mansa. L'appellation apparaît pour la première fois au 14ème siècle dans les textes avec Alomari et Bilad Niani avec Ibn Khaldoum. Ce dernier séjourna huit mois durant à Bilad Niani. Il témoigne que la capitale était une grande ville à l'habitat dispersé, que seule la partie royale était ceinte d'une fortification, à l'intérieur de laquelle une grande place était réservée pour les audiences de l'empereur et aussi que le palais royal faisait face à cette place.

Sous le règne de Mansa Moussa, Niani devint une véritable plaque tournante, commerciale et politique de l'Ouest africain, la grande métropole, le point de départ des plus importantes voies caravanières, en direction du Caire, de Fez, Fezzan etc. Beaucoup plus tard, au 16ème siècle, Léon l'Africain estime le nombre de foyers de la ville à 6000, ce qui assure de la grandeur du centre urbain que constituait Niani.

Les fouilles archéologiques polono-guinéennes effectuées en 1968 et 1973, effectuées sous la direction du Professeur Filipowiqk Wladislaw, ont permis de confirmer une bonne partie de ces données écrites. Parmi les stations archéologiques repérées à Niani, les plus importantes sont:
  • Station 1: Quartier royal;
  • Station 2: Quartier royal;
  • Station 6: "Larabousso", quartier des étrangers arabes et du commerce;
  • Station 11: Cimetière de la "Porte Rouge".
Bien loin de couvrir la totalité des zones exploitables, les fouilles ont au moins prouvé trois étapes successives dans l'occupation du site:
  • La plus ancienne remonte au 6ème siècle;
  • 9-11ème siècles;
  • Une occupation plus récente avec des constructions en banco (des traces d'une mosquée ont été exhumées).
La construction du barrage de Sélingué au Mali (en aval du fleuve Sankarani) au cours des années 80 a occasionné l'immersion d'une bonne partie du site y compris les stations archéologiques, chaque saison des pluies marquées par des crues du fleuve. Depuis ces premières campagnes archéologiques le site de Niani est abandonné, les départements ayant en charge le patrimoine culturel n'ayant pas les moyens de leur politique et surtout que le patrimoine culturel ne constitue pas une priorité de développement économique. C'est une lourde responsabilité qu'endosse la génération actuelle que de laisser se détruire quotidiennement, un des témoignages les plus significatifs, les plus exaltant de l'histoire et de la civilisation.

La " Case à palabres du Foutah " à Dalaba

A Dalaba, au cœur de la Moyenne Guinée, se trouvent l'ensemble abritant la case du Gouverneur (dite Villa Jeanine) et la Case de Conseil des Chefs traditionnels du Foutah pendant la colonisation française, appelée " Case à Palabres ".

Cet édifice du patrimoine guinéen, bien que de création relativement récente (fondée en 1936), et en plus de ses valeurs politiques historiques et politiques, présente également des valeurs au point de vue architectural, notamment à travers l'utilisation des techniques traditionnels et des matériaux locaux ; il constitue un dérivé de l'architecture traditionnelle du Foutah Djalon, au même titre que les remarquables cases-mosquées et les cases de chefs, caractérisées par un immense dôme avec une toiture de chaume bien tressée et très touffue, dont l'intérieur est décoré de motifs souvent inspirés de style arabo-musulman. Le toit de chaume de la case avait été totalement endommagé par les intempéries, occasionnant de nombreuses fissures. L'intervention faite pour restaurer partiellement la Case du Foutah n'a pas été effectuée selon un plan de conservation et de gestion dûment établi en la matière; l'originalité de ce patrimoine s'en trouve ainsi atteinte et le site se trouve actuellement très dégradé.

Le Fort Galliéni de Niagassola, patrimoine remarquable, livré à la nature depuis plus d'un siècle

Dans l'extrême nord-est de la Guinée, à quelques kilomètres de la frontière du Mali, se trouve le Fort Galliéni, au village de Niagassola. Construit en 1885 pour servir de résidence au Gouverneur militaire de la région, en cours d'occupation par les troupes françaises, le fort a joué un rôle dans les combats qui ont opposé les troupes coloniales françaises à celle de l'Almamy Samory Touré. Cet ensemble constituait un ensemble architectural européen monumental, installé au cœur de l'Afrique, dans le territoire du " Vieux Manding ", une tentative réussie de lier à l'environnement culturel et naturel africain, l'architecture européenne de l'époque. Le site comprend un enclos fortifié abritant des restes de bâtiments, et, au nord et à l'est, un cimetière militaire pour les marins français et les tirailleurs sénégalais. L'entrée principale fait face à l'est. Elle est percée dans une muraille de pierres peu élevée. Elle comprend, sur le côté est, une plate-forme d'artillerie. Au sud-est, la muraille se raccorde à la prison, qui est un petit bâtiment, à murs très épais L'enceinte abrite un puits non maçonné.

Depuis la fin du 19ème siècle, le site a été abandonné. Tombé dans l'oubli et ayant perdu déjà des pans entiers, le Fort Gallieni continue de se dégrader mais pourtant de s'imposer au travers de ses valeurs historiques et artistiques et du défi qu'il représente au point de vue de la conservation et de la gestion du patrimoine.

Améliorer la situation

Pour améliorer la situation, le Comité Guinéen de l'ICOMOS a identifié quatre objectifs prioritaires: 1. L'inventaire des sites et monuments, avec l'appui de deux professionnels formés par le Programme Africa 2009; 2. La formation de professionnels et techniciens guinéens en conservation et gestion du patrimoine culturel immobilier; 3. Des interventions de sauvegarde d'urgence sur certains sites; 4. La sensibilisation générale sur patrimoine culturel. La nécessité de procéder à un inventaire systématique des sites, monuments et ensembles du patrimoine culturel de la Guinée devient de plus en plus préoccupante.

En février/mars 2000, grâce à l'assistance de l'UNESCO, un certain nombre de sites ont été l'objets d'identification , dans le cadre de l'élaboration de la liste indicative de la Guinée pour le patrimoine mondial. Dans leurs rapports, Michel Leberre et Mme Lecours Gradmaison, experts de l'UNESCO, ont souligné la nécessité de poursuivre le processus d'étude et de gestion de ces sites et, avant tout, de former des agents et spécialistes en matière de conservation et de gestion du patrimoine culturel immobilier.

Pour relever ces défis, l'enthousiasme ou le tâtonnement ne pourrait suppléer aux compétences requises en la matière, encore moins des improvisations fâcheuses d'amateurs qui, sous le couvert d'activités de recherches ou de développement local, font des interventions graves au double point de vue intégrité physique et situation juridique du patrimoine culturel immobilier. En effet, si la Guinée possède quelques agents à même de gérer les collections de biens meubles des musées et de nombreux sociologues, historiens, ou autres théoriciens capables d'épiloguer sur des valeurs et significations des éléments ou ensembles du patrimoine culturel immobilier, cependant elle manque cruellement de spécialistes en identification, étude, conservation et gestion des sites.

Il apparaît clairement que l'organisation, à l'intention des professionnels et techniciens, d'un cours intensif centré sur les mêmes questions et adapté au contexte et aux besoins de la Guinée, est aujourd'hui l'opportunité la plus souhaitée.


Sékou Kobani Kourouma
Secrétaire Général ICOMOS Guinée


Références

1. Vallées du Niger (Catalogue de l'exposition internationale ''Vallées du Niger) 1996
2. Rapport de mission de l'INRDG à Niani. Conakry. 1974
3. Sékou Kobani Kourouma, La Guinée, pays synthèse de l'Afrique de l'Ouest ….., 4ème Réunion de stratégie globale pour l'Afrique de l'Ouest, Unesco 1998
4. Nantènin Sidibé, Présentation du patrimoine culturel immobilier de la Guinée, Contribution au 4ème Cours Africa 2009, Porto-Novo, 2002
5. Djibril Tamsir Niane, Recherches sur l'Empire du Mali au Moyen-âge, Mémoire de l'INRDG, 1960