Menace sur le Patrimoine


Près d'un monument historique classé sur cinq (soit un total de 2767 églises, cathédrales ou châteaux) se trouve en " état de péril " à travers tout le pays. Le niveau de dégradation des monuments est inégal. 2064 sont " partiellement en péril ", comme la cathédrale de Toul ou le château de Turenne, en Corrèze. Certains sites, et non des moindres, sont même dangereux pour le public. C'est le cas d'édifices aussi prestigieux que les arènes de Nîmes, la cathédrale d'Amiens ou le château fort de Lourdes. Dans cette liste noire des bâtiments présentant un danger figurent plusieurs cathédrales (Rouen, Saint-Omer, Boulogne-sur-Mer, Narbonne, Yonne), les châteaux de Thouars (Deux-Sèvres), de Lavardens (Gers), de Punta (Corse-du-Sud), de Vitré (Ille-et-Vilaine) ou de Montvallat (Cantal), l'abbatiale gothique Saint-Ouen à Rouen ou les églises Saint-Jacques de Compiègne, Saint-Pierre d'Aire-sur-la-Lys (Pas-de-Calais), Saint-Aphrodise de Béziers... Paris n'est pas épargné, où le Grand Palais, le Panthéon, le Muséum national d'histoire naturelle et le Jardin des Plantes, le Palais-Royal, le château de Vincennes, les Invalides et le parc de Marly sont pointés comme " partiellement en péril ". C'est même le cas de Notre-Dame, en dépit de la restauration de la façade de la Cathédrale. La Madeleine aurait mérité de figurer dans cette liste. Si le Grand Palais ou le Panthéon ne sont pas mentionnés comme présentant un risque, en dépit de chutes des structures, c'est que le premier est fermé et que des filets ont été posés dans le second, avec une circulation restreinte sous la coupole.

La plupart des sites fortement dégradés sont des monuments d'envergure et ouverts au public. Ceux du Moyen Age et du XXe siècle sont les plus abîmés, ce qui, soit dit en passant, en dit long sur l'architecture contemporaine. Moins d'un dixième de ces monuments en péril (248) appartiennent à l'Etat, plus de la moitié (1466) aux collectivités territoriales. 754 châteaux et résidences, dont plus de 200 en très mauvais état, sont aux mains de particuliers. Le rapport cite notamment le cas désolant du Désert de Retz, en bordure de la forêt de Marly, célèbre pour ses " folies ". Les difficultés de financement sont dramatiques quand on sait que, sur les 2070 communes possédant une église ou un autre bâtiment en péril, les deux tiers comptent moins de 2000 habitants. Plus d'un quart du parc protégé en France se trouve dans des localités de moins de 500 habitants.

Et la négligence accumulée se combine aux éléments naturels pour faire monter les factures. Il faudrait mobiliser 21 millions d'euros pour sauver la cathédrale de Reims ou celle de Rouen, 20 millions pour les fortifications de Saumur et l'abbaye de Clairvaux. A Ville-sous-la-Ferté (Aube), 13 millions pour Versailles, une dizaine de millions pour le palais des papes d'Avignon, les châteaux de Fontainebleau ou de Rambouillet... Rien qu'à Dieppe les besoins pressants pour deux églises se montent à 43 millions d'euros. A Rouen, l'abbatiale, la cathédrale et l'église Saint-Maclou nécessitent 63 millions de réparations. Les plus gros chantiers sont ceux du Grand Palais (54 millions d'euros). Le Panthéon, au toit recouvert par des bâches et dont la pierre éclate avec l'oxydation. aurait besoin de 28 millions.

Les régions les plus atteintes sont la Bretagne (216 monuments en péril), le Centre (195), l'Ile-de-France (189) et Provence-Alpes-Côte d'azur (183), mais ce sont aussi celles dont le patrimoine est particulièrement riche. En proportion, la Corse et Champagne-Ardennes arrivent en tête des mauvais exemples (environ 28% de monuments classés en péril), suivies par le Nord-Pas de Calais (24%). L'Ile-de-France devrait consacrer 215 millions d'euros en urgence à son patrimoine, la Haute-Normandie, 170 millions. L'Etat ne peut, en effet, être seul pointé du doigt. Combien de dizaines de millions d'euros les pouvoirs locaux investissent-ils dans la construction de ronds-points à l'utilité discutable (mais fort rentables pour les acteurs locaux), alors que le toit de l'église se fuit, que le château menace de tomber en ruines et que le lavoir s'écroule ? Calcul imbécile, puisque le patrimoine est non seulement un fort symbole d'identité mais le premier vecteur du tourisme.


(cité d'un article de Vincent Noce dans Libération des 15/16 mars 2003 concernant un rapport "sur l'état sanitaire du parc immobilier classé")